Toi aussi tu es un « Je suis Charlie » ? Alors chiche, si maintenant on passait aux travaux pratiques avec J.-C. Menu et L’An 01 de Gébé…
Les jours passent, les nuits aussi, et voilà qu’on met de côté ce qui nous paraissait si important il y a quelque temps à peine.
Par exemple, il y a un peu moins de trois mois, quand tout le monde ou presque était Charlie. Qu’est-ce qu’il en reste ? Pas grand-chose, sinon l’immense douleur des familles, quelques lois liberticides de plus et la manne invraisemblable reçue par la rédaction, dont on lui souhaite de faire le meilleur usage possible.
Et puis, et puis…
Un petit discours, passé quasi-inaperçu dans la flopée d’hommages pas toujours de très bon goût rendus sous le coup de l’émotion.
Par quel miracle l’équipe du canard a-t-elle eu l’idée géniale d’envoyer Jean-Christophe Menu recevoir le prix spécial qu’elle s’était vu décerner lors du dernier festival d’Angoulême ?
Il paraît que le lascar n’en a pas dormi pendant trois jours, mais ça valait le coup !
Prenez le temps d’écouter le laïus dans son intégralité. Et puis tiens, de vous intéresser d’un peu plus près à son auteur.
Parce que si le nom de J.-C. Menu ne vous est pas familier, promis, vous ratez quelque chose ! Comme qui dirait l’un des auteurs de bande dessinée les plus intéressants de ces trente dernières années, ou peu s’en faut.
Pas par le nombre d’albums publiés, ni (loin de là) par le chiffre d’affaires réalisé. Mais par sa capacité à réinventer constamment le 9ème art, tant à travers ses propres œuvres que dans son activité d’éditeur.
À la tête de l’Association d’abord, collectif qui révolutionna le genre et laissa quelques chefs-d’œuvre tels Persépolis ou l’Ascension du Haut-Mal.
Ainsi que deux pépites produites par J.-C. Menu himself, l’autobiographique Livret de phamille et la thèse foisonnante de La bande dessinée et son double. En allant sur le site de l’Association je me rends compte qu’il y en a plein d’autres que je ne connais pas, sans parler des ouvrages sortis chez d’autres éditeurs, comme cette Topographie interne du M. (parue aux Requins Marteaux) qui a fourni son illustration colorée à cette niouz…
Pour en revenir à Livret de phamille, il serait bien réducteur d’en limiter la portée au genre dont il se réclame (un aperçu de la vie de l’auteur, donc). Car à travers le récit des moments vécus auprès de sa nana et de ses mômes, puis divers autres allers-retours entre passé et présent, J.-C. Menu propose en réalité une exploration amusée et savante (quoique jamais barbante) du média lui-même, faisant usage de sa liberté pour télescoper les styles, multiplier les expérimentations et se réinventer, lui personnellement, à travers l’art qu’il pratique. Comme quoi on peut faire de la politique (ou de la philosophie) sans le revendiquer à tue-tête…
Depuis, J.-C. Menu a quitté l’Association avec pertes et fracas, pour prendre la tête de sa nouvelle maison d’édition, la bien nommée Apocalypse – qui n’a pas l’air en grande forme.
La séparation d’avec sa structure d’origine a même donné lieu à un ouvrage des autres membres fondateurs du collectif auquel notre ostrogoth n’a pas daigné répondre. Il faut dire qu’il y prenait vraiment cher !
De politique encore, il fut bien évidemment question lors de son discours-hommage à la rédaction de Charlie… et plus explicitement encore lors de l’interview qui suivit. Avec la même exigence, la même âpreté que d’habitude, pour rappeler que, si on veut vraiment « être Charlie », il ne suffit pas de s’en réclamer, mais plutôt de le mettre en œuvre, concrètement, dans sa vie de tous les jours.
Pourquoi pas en s’offrant, comme nous y a invité J.-C. Menu lui-même, un retour aux sources de l’hebdo dans ce qu’il avait de meilleur : L’An 01 de Gébé, que ce soit la bande dessinée ou le long-métrage qui en a été tiré. Cap vers une société écolo, égalitaire et pacifiste ! Ou comme suggéré par un des protagonistes au début du film : « Si on faisait un pas de côté, on verrait ce qu’on ne voit jamais. »
Et puis tant qu’on y est… Si au passage on en profitait pour se pencher sur le cas d’un artiste vivant, vibrant, tant qu’il en est encore temps : J.-C. Menu en personne, ce serait peut-être la meilleure manière de saluer la mémoire de ceux qui y ont laissé leur peau, vous ne croyez pas ?